un héritage libéral qui ne va pas de soi 2/5

Publié le par alternativesenmedecinegenerale

Seconde partie de l'annexe 4 de la thèse "état de lieux et perspectives de la MG dans le roannais"

 

 

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        B. Un héritage libéral qui ne va pas sans tension.

L'héritage libéral se lit d'abord dans un état de fait: en dépit de la socialisation des dépenses de santé intervenue pour l'essentiel depuis l'après-guerre, la médecine générale se pratique très majoritairement en France au sein de cabinets libéraux. Cette forme d'organisation de l'offre de soins primaires n'a jamais été sérieusement mise en cause dans notre pays et les propositions alternatives, formulées à certains moments de l'histoire, sont demeurées jusqu'à aujourd'hui expérimentales ou marginales.(3)

 

Le retour de l’Alsace-Lorraine en France en 1918 a relancé, dans un contexte nouveau, le projet de création d’assurances sociales. Dans un pays soucieux d’égalité, la singularité d’une partie du territoire soumise au régime issu des lois bismarckiennes et très attachée à son maintien, imposait la création d’une protection analogue pour le reste du pays. Le débat engagé au Parlement dès 1921 a conduit au vote de la loi du 5 avril 1928. Ce texte, fortement inspiré par le régime de l’Alsace-Lorraine, organisait une médecine de caisse, restreignait le choix de l’assuré social aux médecins de la commune où il résidait pour les visites à domicile (article 3), établissait le principe de tarifs médicaux fixés par des « contrats collectifs intervenus entre les caisses et les syndicats professionnels » (article 4) et posait la base du tiers payant pour les prestations en nature : « leur montant est supporté par la caisse ou remboursé par elle à l’assuré suivant les conditions déterminées dans les contrats » (article 5). (1)

 

Après les officiers de santé, le corps médical s’est à nouveau senti « agressé » par l’intervention des pouvoirs publics. Le projet discuté au Parlement a suscité une réaction très vive de sa part (4). Au sein de l’Union des syndicats médicaux français, deux camps se sont opposés. Les partisans du refus de l’établissement d’un contrat avec les caisses ont fait scission et créé la Fédération nationale des syndicats de médecins de France. La Fédération a élaboré en 1926 une charte définissant les principes de la médecine libérale. Ces principes étaient:

  • le libre choix du médecin par le malade

  • l’entente directe entre le médecin et le malade pour les honoraires.

  • la liberté thérapeutique et de prescription

  • le respect du secret professionnel (qui datait du code Napoléon de 1810)

  • le droit à des honoraires pour tout malade soigné.

     

Elle est parvenue à faire prévaloir son point de vue lors du congrès des syndicats médicaux du 30 novembre 1927, obtenant non seulement l’adoption solennelle de la charte mais également la réunification en 1928 du syndicalisme médical au sein de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF).

La loi du 5 avril 1928 n’a jamais été appliquée et deux ans plus tard le Parlement a adopté la loi du 30 avril 1930 consacrant les principes de la charte de la médecine libérale de 1927. La loi de 1930 prévoyait en particulier le libre choix du praticien par l’assuré social et la fixation, indépendamment des caisses, de « tarifs médicaux syndicaux minima » par région sur la base desquels devait être calculé le remboursement assuré par l’assurance-maladie.

 

En 1940 avec la création de l'Ordre des Médecins, les médecins obtiennent de l'État:

  • la reconnaissance de leur autonomie dans la dispense des soins?

  • avec une capacité collective de fixer les règles et d'en contrôler le respect.

Ces principes sont repris dans le nouveau code de déontologie de 1947.

 

Cette construction historique est remarquable dans la manière dont elle lie défense économique et politique de l'indépendance des médecins et défense d'une médecine responsable, au service des patients .Les principes relatifs à la rémunération du médecin sont présentés comme les garants véritables de la morale professionnelle et d'un exercice en conscience de la médecine (3). Avec cette charte, la défense de l'identité libérale l'emporte durablement sur l'intégration du syndicalisme au système de protection sociale (4). La réaffirmation régulière de ce socle idéologique a progressivement éclipsé de la mémoire du corps médical une autre tradition de la médecine du XIXèsiècle avec les officiers de santé, celle à orientation sociale et hygiéniste (3).

Suite à la création des Centres Hospitaliers Universitaires, les spécialistes et les spécialités se sont largement détachés de ce modèle libéral. Avec la réforme Debré de 1958, « l'élite » des spécialistes, exerçant en CHU est désormais salariée.

 

Le libéralisme médical s'inscrit dans une relation paradoxale de dépendance à l'Etat, puis au système d'assurance maladie. C'est de l'État que les médecins ont obtenu leur monopole sur les soins depuis la loi Chavandier de 1892. C'est de l'État qu'ils tiennent ensuite la reconnaissance de leur autonomie dans la dispense des soins, au sens de capacité collective à en fixer les règles et contrôler le respect, avec la création de l'Ordre des Médecins en 1940. C'est enfin l'Etat qui organise progressivement le système de prise en charge solidaire qui solvabilise le marché des soins dont ils tirent l'essentiel de leurs revenus. (3)

 

Avec la mise en place du conventionnement dans les années 1960-70, les nouvelles conditions faites aux médecins libéraux ont été régulièrement assorties par les autorités sanitaires d'affirmations sur les dimensions intangibles de l'édifice libéral et sur la préservation de la primauté de cette forme d'exercice pour les soins ambulatoires. Avec le décret Bacon mettant en place des conventionnements individuels en 1960, les caisses se sont engagées à ne pas développer d'institutions de médecine salariée dans les départements conventionnés. (3) En 1971 la signature de la première convention nationale a donné lieu à un engagement solennel du gouvernement en vue de garantir l'avenir de la médecine libérale et à une réaffirmation de son attachement aux principes de libre choix du médecin par le malade, de liberté de prescription du praticien, du secret professionnel et du paiement direct à l'acte. C'est à cette occasion que la liberté d'installation a fait son entrée dans la loi.(3) Quant aux caisses de sécurité sociale, elles ont consacré à cette date le quasi monopole de la médecine libérale sur les soins ambulatoires, en s'engageant dans la convention à ne rien faire pour développer des centres de soins sans l'accord des syndicats médicaux, ceux qui existaient déjà étant maintenus dans un équilibre financier précaire (3). Jusque dans la convention de 2004, art 4.1.3 (5), les principes du paiement à l'acte sont réaffirmés.

 

Depuis longtemps cependant la référence exclusive au modèle libéral ne fait pas l'unanimité par les médecins généralistes. Derrière le constat de la figure identitaire dominante en France du médecin libéral, P. Hassenteufel expose les tensions que cette orientation suscite de longue date au sein de la profession (4). Elles sont particulièrement le fait des généralistes et plus particulièrement de ceux qui exercent dans la France dite « profonde », au contact de patients diversement fortunés ou qui recourent moins facilement au médecin. L'appartenance objective et subjective de ces praticiens à la médecine libérale reste une réalité forte mais leur position dans le système et les caractéristiques de leur patientèle les amènent à considérer leurs intérêts propres et des projets alternatifs pour la médecine générale. Par exemple, avant la création d'un syndicalisme généraliste spécifique, le Syndicat de la Médecine Générale (SMG) a publié en 1979 une charte rejetant les principes de la médecine libérale et posant des principes alternatifs (3).

 

Dans les années 90 sous l'impulsion notamment du syndicat MG France, les généralistes ont obtenu d'être représentés dans un collège distinct au sein des Unions Régionales des Médecins Libéraux (URML) en 1993. D'autre part ils ont signé pour la première fois une convention spécifique pour les médecins généralistes en 1997. Cette dernière intégrait des propositions portées par MG France, qui représentaient une inflexion sensible du modèle libéral traditionnel avec le dispositif du médecin référent. (3).

 

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O
Cher confrère,<br /> mes premières années de remplacements entre 1988 et 1992, m'ont conduit dans la douleur sur le divan d'un psychanalyste. Si je n'ai pas pu exercer ce métier, il me semble aujourd'hui que c'est parce que la doctrine qui nous avait été enseignée à la faculté ne m'avait pas suffisamment préparé à la dimension transférentielle de l'acte médical. J'étais débordé par le contre-transfert, au point de devoir renoncer à l'exercice conventionnel de la médecine générale. Aujourd'hui j'exerce la psychanalyse qui pour moi est un exercice de la médecine générale qui prend en compte doctrinalement et institutionnellement le transfert, et cet exercice non seulement ne me rend pas malade mais rend service aux quelques patients qui payent le prix de ce traitement de fond de la névrose. Si mon analyse est juste à propos de ce qui m'est arrivé, si les raisons de mon changement de mode d'exercice sont bien liées au caractère insuffisant de la doctrine qui nous est enseignée à l'université, je ne dois certainement pas être une exception. On ne peut pas dire pour autant que la portée doctrinale de la psychanalyse comme composante à part entière de la doctrine médicale soit mieux entendue aujourd'hui qu'elle ne l'était dans les années 80. Il y a du pain sur la planche. Salutations confraternelles Dr Olivier Oudet
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